Escalade en Dauphiné - France

Conflits d’usage sur les falaises de Presles

Le point de vue de Bruno Fara
jeudi 25 janvier 2007 par Bruno Fara

Depuis le printemps 2006, des problèmes entre les grimpeurs et des propriétaires surviennent sur la falaise de Presles.

C’est réel, mais peu défini quantitativement… nuisances d’un niveau assez faible, (parkings sauvages, bruit), cantonnées sur des périodes restreintes de l’année. En réalité le problème se focalise sur le droit d’accès à des propriétés privées … terrains non cultivables et complètement à l’abandon depuis des générations.
Il ne s’agit donc pas d’une réalité mais d’un ressenti ! Les opposants à l’escalade se regroupant sous l’étendard de la famille Bourne de la Bournière (hameau situé sous la voie des buis).

Au détour d’une vague analyse en forme de fourre tout ! Posons nous des questions … Quelle est la situation ? Quelle analyse en tirer ? Existe t il des solutions ?

Les pratiquants venant régulièrement sur la falaise de Presles sont issus de 4 grandes agglomérations (Lyon, Chambéry, Grenoble et Valence). La fréquentation est donc très importante et la faible distance, entre la résidence des pratiquants et le site, induit une pratique effectuée à la journée. Une pratique de consommation … j’arrive ... je grimpe … je rentre chez moi !
S’ajoute à cette clientèle une fréquentation d’étrangers attirés sur le site par les articles publiés dans les revues spécialisées. Cette fréquentation est importante mais ponctuelle et ciblée aux vacances scolaires européennes de printemps, aux congés du mois de mai, vaguement en juillet/août quand la météo est mauvaise sur les Alpes, et aux vacances scolaires de l’automne. Cette fréquentation de grimpeurs étrangers semblait s’être accélérée de façon significative depuis quelques années.
Cette attirance est le fait d’une facilité d’accès (approches courtes) d’un climat clément (faible altitude), d’un rocher plutôt propice à l’escalade libre (au contraire de l’urgonien du Vercors classique), et d’un équipement moderne de type escalade sportive majoritairement.
Les critères de facilités jouent pour l’attrait des visiteurs, mais aussi pour les auteurs des articles et même pour les équipeurs/ouvreurs de nouveaux itinéraires. Ce qui alimente donc inexorablement le flux de plus en plus nombreux des visiteurs (c’est un cercle vicieux).
La falaise est sur des propriétés privées extrêmement étroites et morcelées, en effet les anciens utilisaient les bois exploités sur la plateau en les évacuant par le bas … ce qui a donné pour chaque terrain proche du fond de vallée une extension étroite vers le pied des rochers. Cette figure est caricaturale vers la paroi rouge où le plan cadastral montre des bandes de terrain de parfois quelques dizaines de mètres de larges toutes bien parallèles jusqu’à la route des grottes. Cette remarque est importante car il ne s’agit pas de négocier avec un seul propriétaire mais avec une multitude … ce qui est aussi un espoir car un propriétaire hostile à la traversée de son terrain n’est souverain que sur cette étroite bande !
Un bémol à cette vision trop optimiste … le tissu rural agricole a énormément changé ces 30 dernières années. La transmission de l’exploitation familiale traditionnellement du père au fils, ne se fait pratiquement plus. D’années en années (de décès en décès) c’est les Bourne, l’une des rares familles encore exploitantes agricoles, qui achètent par le biais de la SAFER pratiquement toutes les terres libérées. Cette famille regroupe donc petit à petit les terrains agricoles morcelés.
Les querelles de familles sont ancestrales dans ce monde rural et ces acquisitions trouvent donc leur limite dans le refus de certains de vendre … par principe aux Bourne. Refus aussi pour s’opposer à la réunification des propriétés en un seul tenant, aboutissant à une superficie permettant la création d’une chasse privée !
Les habitations sont par contre fréquemment achetées par des citadins en mal de retour à la terre … Ils sont sincères, mais ces nouveaux venus se fondent très difficilement dans le moule rural traditionnel, et perpétuent le caricatural conflit entre les purs locaux et un autre monde issu de la ville.
La famille Bourne s’inscrit bien dans cette opposition … d’autant plus qu’une ferme du plateau (la propriété Philibert), très convoitée par eux, fut récemment achetée par un Guide et sa compagne. Certes il se dit que Robert Philibert n’aurait jamais vendu à ceux de la Bournière … car au XIIème siècle un chien de la Bournière a du manger une poule des Philibert … sur le plateau la haine est ancestrale et ne supporte pas le compromis !. Mais c’est selon moi la première goutte de vinaigre qui fit monter la sauce aujourd’hui plutôt assaisonnée !
Les ruraux de souche hostiles à l’escalade semblent se regrouper sous la bannière de la chasse qui les définit dans un rapport aux traditions et les nouveaux habitants sous celle du tourisme. Dans la notion de tourisme se retrouve bien évidemment l’escalade, le canyoning, la spéléo, mais aussi les gîtes et autres commerces liés à cet essor. Notons que grimper à Presles ne posait guère de problème depuis 30 ans et que les animosités ont pointé leur nez en même temps que se dessinait une nouvelle économie locale axée sur l’escalade.
Le principal emblème de ce tourisme citadin étant les grottes de Choranche, le projet de classement du site en zone de protection … visant dans une perspective lointaine le classement UNESCO ne pouvait que creuser encore plus le fossé qui sépare les communautés.
Le conflit était connu depuis déjà longtemps, certains acteurs locaux de l’escalade ont pratiqué jusqu’au bout la politique de l’autruche (ou de l’espoir)… dommage, un conflit se règle mieux à froid que dans l’urgence ! On le voit donc les raisons de conflit sont multiples, imbriquées et surtout peu évidentes… le symptôme est par contre bien connu, interdiction de l’accès au secteur principal et historique, qui est le seul concerné (pour l’instant) par certains propriétaires.

A l’analyse, on trouve des raisons qui portent à un certain optimisme, pouvant laisser espérer que la pratique de l’escalade et aussi de toutes les activités de loisirs sur les Coulmes ne sont pas condamnées définitivement.

Un tissu commercial local vit de cette fréquentation. Des gîtes ruraux bien sûr mais aussi tout un commerce de proximité qui va des bars aux restaurants en passant par les épiceries et les boulangeries. Ces derniers traduisent déjà une perte d’exploitation liée aux événements.
Depuis 5 ans, cette vallée a été durement touchée par des catastrophes naturelles (incendies et éboulements) qui en coupant la route touristique des gorges durant de très longues périodes ont frappé le tourisme assez durement … la clientèle des grimpeurs est donc actuellement intéressante pour la ville de Pont-en-Royans.
L’escalade est représentée par une fédération en développement qui ne peut se permettre d’abandonner certaines falaises emblématiques sans perdre totalement son crédit vis à vis de ses licenciés.
Les élus locaux doivent tenir compte des nouveaux résidents qui pèseront de plus en plus dans les élections locales.
Les associations locales (V.T.N.O et Bille de Coulmes) sont efficaces, les Présidents actifs montent des dossiers qui démontrent bien l’illogisme de cette querelle … qui comme déjà énoncé n’a que très peu de fondement réel.
Les Bournes ayant aussi des conflits avec des familles du cru, ces derniers basculent dans le clan des pro-grimpe avec cet argument comme seule raison.
Interdire légalement le passage supposera de clore les propriétés concernées, ceci n’est pas un problème en terme de temps ou d’argent pour les propriétaires hostiles… mais le passage du gibier qui transite serait alors perturbé… cas de conscience pour des chasseurs !

Par contre d’autres arguments paraissent plaider contre une solution rapide…

Un seul grimpeurtrès con… généralise cet adjectif à toute la communauté. Il est évident que certains habitués de la falaise se sont comportés comme de redoutables imbéciles, se garant de façon absolument inadmissible au pied de Tina Dalle. Certains, même actuellement, refusent de se plier aux directives de stationnement sur le plateau, il semble que marcher le moins possible reste l’épicentre de leur raisonnement. La pédagogie reste de peu d’utilité sur les irréductibles … mais les affichettes distribuées par VTNO ont au moins le mérite de montrer aux opposants que les responsables tiennent compte de leur doléances.
Au contraire du stationnement gênant le passage des engins agricoles, les nuisances sonores sont difficiles à quantifier et même à modifier… ce sont les appels des grimpeurs qui évoluent dans les voies. La route en dessous de la falaise est autrement bruyante, mais visiblement seuls les cris des cordées engagées dans la falaise gêne la famille Bourne (les autres opposants ne résidant pas sur place, ils ne peuvent argumenter sur ce point).
Face au refus évident de négocier tout compromis, les opposants sont mal identifiés selon moi. La famille Bourne est active certes, mais elle serait sans doute prête à un compromis. Seulement il faut aussi tenir compte du notaire Maître Taulier (propriétaires des terrains supérieurs) et aussi d’un certain Brun qui semble avoir un ressentiment vis à vis de la commune de Presles au sujet d’un refus de permis de construire. La grande inconnue reste les motivations très peu discernables du notaire ... la clef d’une solution passe selon moi par ce personnage. Grand amateur de chasse, rêve t il d’une chasse privée sur le plateau ?
La famille Bourne habite La Bournière … dans les gorges de la Bourne ou coule la Bourne … ça ne s’invente pas ! Elle y puise un droit moral pour nier tout droit de gestion du site aux citadins néo ruraux.
Le bar du village de Presles aurait du faire le lien entre les grimpeurs et les ruraux autour d’une bière ou d’une cigarette… Mais ce n’est pas le cas. Ezio le propriétaire Italien est très sympa certes, mais à travers des micros conflits (avec les fumeurs et les chasseurs) il semble que son auberge ait aggravé le fossé plutôt qu’elle l’ait comblé.
Le contexte du classement du site entretien une paranoïa … la main mise des technocrates, (forcement citadins), sur les locaux floués de leurs bons droits ancestraux …
La propriété privée est un droit intangible en France. Une activité aussi restreinte que l’escalade ne pourra se prévaloir de l’utilité publique qui est la seule faille du système.
Les opposants sont regroupés en association, montée sur le modèle d’une précédente association opposée à la pratique du canyoning dans la résurgence du Gournier. Sa victoire dans ce conflit encourage d’ailleurs les opposants à l’escalade.
De plus les familles du plateau du Vercors sont attachées à la terre … ceux qui ne sont pas hostiles à la pratique de l’escalade donneront facilement un accord verbal pour traverser leurs terres, mais ne se résoudront que rarement à céder une parcelle.

On découvre donc, que ce conflit minuscule risque de déboucher sur une impasse. Il n’est peut être que la traduction d’une opposition chasseurs/grimpeurs … cultivateurs/citadins. La manifestation violente, d’un refus de changement de vie dans cette zone où le tourisme est pas encore franchement digéré par le tissu rural traditionnel ou le déclin de l’agriculture de montagne traditionnelle n’est pas encore totalement accepté. Les temps changent … c’est regrettable … il faut un coupable … les grimpeurs deviennent les boucs émissaires de ce refus !

On devrait déboucher sans doute sur un statu quo à long terme avec un conflit non solutionné qui refera des vagues puis des vaguelettes … car je doute qu’une solution globale satisfaisante pour tous les protagonistes soit possible par la négociation. En tout cas la baisse de fréquentation des grimpeurs étrangers est évidente et risque de mettre longtemps à s’estomper car les revues se sont fait l’écho des évènements et ceux ci ne mettent plus Presles dans leurs objectifs de voyage … et pour le tourisme c’est cette clientèle qui était vraiment intéressante.


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